IDENTITÉ LEÇON 1

Vous n’avez pas besoin d’un logo

Vous démarrez une entreprise. Il vous faut un logo, c’est évident. Tout le monde en a un.

Mais je vous invite à prendre un petit temps d’arrêt, ne serait-ce que pour le plaisir de la discussion. Pourquoi avez-vous besoin d’un logo? En avez-vous vraiment besoin, comme demanderait un comptable qui passe à la télé?

J’ai tout fait dans le domaine du logo. J’en ai produit des centaines, dans toutes sortes de circonstances. Alors oui, ma question en titre est un brin retorse. Non seulement je suis avec la majorité, mais je ne suis même pas objectif sur la question. Vous avez besoin d’un logo.

Mais vous n’avez probablement besoin du logo auquel vous pensez.

« Comment ça, pas le logo auquel je pense? » vous direz vous (et vous aurez raison).

Voici une liste de fonctions associées au logo. D’après vous, combien de ces affirmations sont vraies ? Attention : il y a un piège.

  1. Un logo transmet les valeurs d’une entreprise.
  2. Un logo montre les services que donne une entreprise.
  3. Un logo reflète la personnalité du chef de l’entreprise.
  4. Un logo doit séduire les clients et les convaincre de faire appel aux produits d’une entreprise.
  5. Un logo reflète les dernières tendances du domaine d’activité de l’entreprise.

Alors, combien? Une, deux, trois? Toutes ces réponses sont bonnes?

La réponse est un beau, net et retentissant zéro.

Aucune de ces missions n’est celle d’un logo.

Les valeurs de l’entreprise

On va commencer par le plus délicat. Certains collègues vont me tomber dessus à bras raccourci pour ce que je vais dire.

Le logo ne transmet pas les valeurs de l’entreprise.

Ou très rarement, de manière obscure et de façon très partielle.

Une valeur est un principe moral auquel on accorde une grande importance. Dans le cas d’une entreprise appartenant à un individu seul, avec très peu d’employés, ou a un petit groupe, c’est possible. Une coopérative pourrait avoir des valeurs. Les organismes à but non lucratif, qui ont aussi besoin de logo, peuvent aller jusqu’à défendre des valeurs. Pour les entreprises de grande taille, ces valeurs sont essentiellement de la relation publique. Dès qu’une société devient publique, avec la cohorte d’actionnaires braillards qui exigent toujours plus de rendement, la seule valeur est celle de l’action et le comportement du citoyen corporatif ne sera limité que par la loi. Et encore.

Toutes les grandes marques sont des façades à des entreprises prédatrices qui détruisent l’environnement et extraient le maximum d’employés qu’ils paient le moins cher possible. Ces entreprises n’essaient même pas de mentir à propos de leurs « valeurs » sur leurs logos. À peine, parfois, donner un visage souriant (comme Amazon).

Quelle que soit la taille de l’entreprise, que les valeurs soient réelles ou non, la transmission de « valeurs » est l’affaire de la marque. Le logo n’est pas la marque, comme on le pense parfois. Le logo est l’emblème de la marque.

Le logo catalogue

Un logo n’a pas non plus pour vocation de décrire les produits et services de l’entreprise. Il arrive souvent que l’on voit un logo qui représente un bien courant vendu par une marque. Plus souvent qu'autrement, vous constaterez que ces logos appartiennent à des commerces hyper locaux et bas de gamme.

Si vous gardez des doutes, voici une vidéo aimablement enregistrée par un collègue qui couvre cette question avec plus détails.

Un logo séduisant

Les valeurs sont véhiculées par la marque, la séduction passe par la pub. Avec l’image, la force du montage, la couleur, la musique, le storytelling, la publicité dispose d’armes multiples pour flatter nos penchants naturels.

Malgré toute la panoplie de ses armes, la pub a bien du mal à séduire, principalement parce que le mode moderne est devenu un vaste champ de bataille où les publicités concurrentes s’affrontent et s’entrechoquent.

Alors que peut le logo, face à cet arsenal? Tout simplement s’afficher à la fin, comme un trait d’union entre la pub et la marque.

Un logo qui me ressemble

Il arrive parfois qu’un client nous demande un logo « qui lui ressemble ».

C’est un truc qui vous laisse un graphiste perplexe.

Attention : je ne parle pas de ressembler comme dans « correspondre à notre niche », « trouver un écho auprès de notre clientèle cible », « marquer un trait d’union avec notre tradition ». Non. Ressembler physiquement (incompréhensible) ou moralement (illusoire) au propriétaire de l’entreprise. Ou, plus flou encore, à l’image qu’il se fait de lui-même, et qu’il faudrait que nous absorbions par une sorte de télépathie.

Ça ne vient jamais dans le brief initial. C’est toujours quelque chose qui ressort à la présentation des maquettes. Comme si c’était évident au départ et que ça ne méritait même pas d’être mentionné.

Même après vingt ans, je ne comprends pas pourquoi. Peut-être ce client a-t-il entendu dire que le logo devait « représenter » l’entreprise et a-t-il pensé que ça signifiait que le logo devait être un portrait de lui?

Soyons clairs : à moins que vous soyez le colonel Sanders, votre logo n’a pas pour mission de vous ressembler.

Un logo à la mode de chez nous

Ha! Les tendances. Il n’y en a que pour les tendances.

Il y a cette idée qui court que le succès tient tout entier à trouver un courant, à sauter dedans et à récolter les dividendes.

Il y a du vrai, là-dedans. Certains courants sont très forts et il est imprudent de les ignorer. C’est comme ignorer sa clientèle. Jamais bon.

Mais les tendances ont leurs limites. Elles sont changeantes, elles sont superficielles, elles sont imprévisibles.

Regardez les trois adjectifs ci-dessus. Lesquels voulez-vous appliquer à votre identité?

Si votre marque est une maison, la tendance est comme sa couleur. Un bon coup de pinceau, et voilà. Mais les fondations, la charpente, la tuyauterie, il faut que ce soit bâti sur le long terme. Les refaire, c’est risqué et c’est très cher.

Quant au logo, c’est le centre de la marque, sa clef de voûte, et l’élément qui doit le moins changer avec le temps. Un bon logo est intemporel.

Plus un logo est fidèle aux tendances du moment, moins il sera efficace. Ce qui signifie, à long terme, plus de dépenses nécessaires en communication et en pub. Si le marché vous en laisse le temps.

Alors, à quoi sert un logo?

Vous avez pu le voir, j’ai beaucoup parlé de marque dans ce texte. Ce n’est pas un hasard.

Vous n’avez peut-être pas besoin d’un logo, mais vous avez besoin d’une marque. En fait, tout le monde en a une.

Une marque est l’idée que les gens ont de vous, de votre entreprise, de votre organisme. Cela comprend la réputation, par exemple, et la connaissance générale que les gens ont de ce que vous offrez. Cela comprend aussi une sorte de personnalité, un visage. Sympathique, sérieux, élégant, ou accessible, par exemple. C’est ce dernier point que les gens confondent avec les valeurs ou la représentativité. C’est pourtant très différent, ne serait-ce que parce que ça se résume en un mot.

Réduit à des formes simples et à des couleurs peu nombreuses, le logo ne peut pas convaincre, il ne peut pas séduire, il ne peut pas communiquer. Sa vraie mission est de servir d’identité.

La marque est l’atout le plus précieux de toute entreprise. C’est ce qui lui apporte de l’eau au moulin.

On bâtit sa marque de bien des manières. Par son activité professionnelle, d’abord, par l’aide que l’on apporte à la communauté, par la publicité… Ce texte, par exemple, c’est moi qui tente d’établir ma marque : celle de quelqu’un prêt à aider et qui sait ce qu’il fait (même s’il est un brin arrogant, parfois).

Le logo, quant à lui, sert d’ancrage visuel à la marque. Son but est d’identifier une entreprise. Quand on voit un logo, il évoque les valeurs de l’entreprise, la séduction qu’elle a mise en place, la personnalité de ses dirigeants, tout ça parce qu’il est associé à une marque.

C’est pour cela que l’on se trompe si souvent sur les fonctions du logo. On lui prête des utilités qui sont celles de la marque. Parce que l’on confond les deux. C’est naturel parce que le logo fait partie de la marque. Plus spécifiquement, il est une partie de l’identité de marque.

Alors, avez-vous besoin d’un logo? La réponse est sans doute oui. Mais la démarche de création d’un nouveau logo doit être inscrite dans une perspective plus large : celle de la marque.

J’ÉCRIS À PHILIPPE / Comment puis-je vous aider?